EXPOSITION LE GRAND SIECLE DES ECRIVAINS

October 30, 2018

Vous n'avez raté cette magnifique exposition ? Vous avez comme moi une passion démesurée pour les livres....Séance de rattrapage !
Sauf mention contraire, les œuvres exposées font partie des collections de la bibliothèque du musée Condé.

Texte et réflexions : Hélène Jacquemard, Bibliothécaire des Cabinet des livres du Domaine de Chantilly musée Condé (L'Institut de France) & Guillaume Bazière, doctorant (Histoire moderne). Ils nous ont offert l'occasion de les accompagner lors de l'exposition LE GRAND SIÈCLE DES ÉCRIVAINS.

LE GRAND SIÈCLE DES ÉCRIVAINS
Du 30 octobre 2018 au 18 février 2019 au Cabinet des livres
Commissariat : Guillaume Bazière & Hélène Jacquemard, assistés de Florent Picouleau
Création & réalisation graphique : Atelier LUVIN // Aurore Markowski
Impression & montage : IMPRIMERIE LS

Bernard Picart, Boileau porté par la Poésie satyrique au-dessus d’Apollon et des neufs muses, 1725, musée Condé, EST P 513

L’ÉCRIVAIN AU TRAVAIL

Souvent loin du mythe de l’auteur inspiré par les Muses, le métier d’écrivain est fait de savoirs et de savoir-faire. Les manuscrits témoignent du laborieux et infini travail de relecture, de correction
et d’élaboration de différents états du texte. Les écrivains se jouent des contraintes matérielles pour façonner leurs écrits : réécriture dans les interlignes, usages multiples des marges et parfois découpage et collage de pièces de texte sont monnaie courante et témoignent d’un savoir-faire pratique caractéristique des professionnels de l’écrit.

Tout un travail de recherche, de réappropriation et de transformation est également effectué à partir de différentes sources servant de matière première à l’élaboration de nouveaux écrits. Au XVIIe siècle, il s’agit souvent d’œuvres issues de l’Antiquité grecque et romaine, bien que des écrivains comme Charles Perrault avec ses Histoires
ou contes du temps passé (1697) puisent dans un répertoire populaire essentiellement oral.

« UN TEMPS SINGULIER DE QUERELLES »

La « Querelle des Anciens et des Modernes »
La « Querelle des Anciens et des Modernes » désigne l’opposition entre ceux qui considèrent qu’il faut s’imprégner et s’inspirer des formes et des auteurs de l’Antiquité (les Anciens) pour produire des œuvres de valeur et ceux qui considèrent qu’il faut au contraire s’en affranchir et innover (les Modernes). Le débat n’est pas nouveau au XVIIe siècle, il apparaît déjà dans les écrits des théologiens médiévaux et se retrouve au XVIe siècle chez Montaigne dans Les Essais. La querelle est toutefois loin de n’être qu’une affaire de goût et d’esthétique littéraire, elle met aussi aux prises des écrivains appartenant à des cercles concurrents. Plus qu’un débat de fond, elle est un facteur de la vivacité des milieux lettrés au XVIIe siècle. Elle stimule en effet la création et la publication, et permet ainsi aux écrivains de se forger une réputation en rivalisant de virtuosité dans la défense de leur camp.

La querelle du Cid
La tragi-comédie du Cid, créée par Pierre Corneille en 1637, provoque une querelle littéraire à la mesure de l’immense succès de la pièce où une multitude de pamphlets se répondent pour blâmer l’œuvre ou la défendre. Le succès de Corneille irrite ses concurrents. Devant les critiques, Corneille contre-attaque et propose une forme de légitimité de l’écrivain fondée sur le succès et le plaisir du public et non sur la reconnaissance par ses pairs ou les Grands du royaume. Les attaques contre Corneille se multiplient alors. Ses adversaires déprécient la pièce en en faisant la simple traduction d’un succès espagnol. La querelle dégénère : pamphlets et protagonistes se multiplient. Le cardinal de Richelieu demande finalement à l’Académie française, depuis peu chargée de légiférer dans le domaine des belles-lettres, de rendre un jugement définitif sur l’affaire. Celle-ci produit une forte critique de la pièce de Corneille. Le texte met fin à la querelle, mais le succès de la pièce ne se démentira plus.

L’importance des clientèles
La constitution de clientèles est banale au XVIIe siècle : autour de personnages riches et puissants se rassemblent des individus qui se mettent à leur service en échange de divers avantages. Les écrivains sont alors nombreux à tirer parti de ce système qui garantit une protection ou un emploi pour les auteurs les moins argentés. L’appartenance à une clientèle a une influence certaine sur le positionnement des écrivains dans les différentes querelles.

Edelinck, Jean Racine, musée Condé, EST P 1256

LA NAISSANCE DE L’ÉCRIVAIN

Au VXIIe siècle, s’affirme progressivement l’existence d’un champ littéraire propre qui s’émancipe par rapport aux autres arts et acquiert une certaine autonomie. Ce phénomène crée la possibilité pour des individus de vivre en écrivain et de faire profession d’écrivain. C’est donc un véritable statut social, celui d’écrivain, qui est en gestation au cours du siècle. Le phénomène est toutefois complexe, imparfait et en constante progression. Il s’affirme à travers une série de facteurs, tenant pour certains d’une forme d’institutionnalisation de la vie littéraire.

  • Le mécénat désigne l’aide apportée par un grand personnage à un artiste pour le soutenir dans l’exercice de son art. Le mécénat relève donc d’une logique de reconnaissance mutuelle de l’artiste et du Grand. L’écrivain atteste de la grandeur et du bon goût de son mécène, en retour, ce dernier lui procure une reconnaissance publique de son talent et la possibilité de s’adonner à son art.

  • Le XVIIe siècle est également un moment de réflexion et de codification autour du droit des auteurs et du développement du commerce des œuvres. Le prestige et l’autonomie des écrivains ne peuvent en effet s’affirmer sans le développement de droits spécifiques liés à la propriété des œuvres qu’ils produisent et aux conditions de leur rétribution. Cet aspect n’est en rien évident dans un Ancien Régime où les privilèges (règles particulières appliquées à un individu ou à un groupe) sont la règle tandis que les lois générales restent une exception.

  • La progression du phénomène de constitution d’un domaine littéraire apparaît de manière particulièrement nette dans la mise en place de ces nouvelles institutions que sont les académies. La plus célèbre d’entre elles est l’Académie française, fondée en 1635. Son apparition témoigne bien d’un changement culturel en France et du statut nouveau des belles-lettres dans la société. Elle n’est toutefois pas un exemple unique : privées à l’origine, les académies se sont multipliées au xviie siècle. Seules quelques-unes ont été officialisées par le pouvoir. On s’y réunit entre spécialistes et amateurs éclairés pour se consacrer à la réflexion, généralement sur un domaine défini. Les séances se partagent entre débats et lectures de textes et d’ouvrages qui sont commentés. On y échange aussi des nouvelles.

  • L’émergence du domaine littéraire entraîne enfin des débats sur ce qu’est un auteur. Les règlements exigent que le nom de l’auteur soit indiqué sur toute publication, cela pour des questions de contrôle et de censure. Être reconnu comme tel n’est toutefois pas toujours un but poursuivi. Pour nombre de nobles, ce serait être déshonoré que de se voir qualifié d’auteur, même si l’on s’adonne à l’écriture.

Molière, Tartuffe ou l’Imposteur, comédie, Paris, chez Jean Ribou, 1669, bibliothèque du musée Condé, V-B-081

LES ÉCRIVAINS ET LE POUVOIR
Si les hommes de plume bénéficient au XVIIe siècle d’une reconnaissance nouvelle et d’une autonomie croissante, leur dépendance à l’égard du pouvoir exerce sur eux d’importantes contraintes. Leurs rapports avec l’État royal ou encore les puissants du royaume influencent leur production écrite ainsi que l’évolution de leur carrière. Le mécénat est une dimension importante de cette réalité, mais de nombreuses autres pratiques témoignent également de la proximité entre les écrivains
et les sphères du pouvoir.

L’épître dédicatoire est un court texte placé au début d’un ouvrage grâce auquel l’auteur dédie le fruit de son travail à un puissant (le dédicataire) dont il fait l’éloge. Il peut s’agir d’une forme de remerciement ou bien d’une tentative pour obtenir protection
et gratification. L’exercice est généralement stéréotypé, usant largement de figures d’amplification comme l’hyperbole. L’épître dédicatoire relève donc du registre épidictique où l’art de l’écriture est au service de la célébration élogieuse et prend souvent le pas sur l’exigence de vérité.

LA CRITIQUE D’UNE SOCIÉTÉ

A la fin du XVIIe siècle, la littérature, et notamment le théâtre,
a acquis une fonction morale. Comme le note la revue du Mercure de France en 1692, il s’agit de « punir le vice, récompenser
la vertu et corriger les défauts d’autrui ». Sous couvert d’édification, certains écrivains se permettent une critique à peine voilée
du pouvoir et produisent ainsi des textes largement politisés.

L’ÉCRIVAIN, LE PUBLIC, LES LECTEURS

Traditionnellement, l’écrivain s’adresse essentiellement aux clercs et à la cour. Au xviie siècle, cette situation se modifie avec l’apparition d’un public nouveau. Le public des écrivains se forme en même temps que se structure le domaine littéraire et que s’affirme la position sociale des écrivains. Il se produit un échange où les auteurs forment et éduquent leurs destinataires tout en en subissant en retour l’influence à travers le succès, l’échec ou encore l’affirmation d’un goût pour certaines formes au détriment d’autres. Ce processus s’accomplit notamment à travers certains lieux, comme les salons où les écrivains se trouvent en contact avec une fraction de leurs lecteurs correspondant à l’élite sociale. Une légitimation réciproque s’y opère puisque les écrivains, dont le statut reste incertain,
y acquièrent la reconnaissance d’un public choisi. Quant à la tenue d’un salon, elle permet aux élites mondaines de se distinguer au sein de l’univers de cour en faisant montre d’un goût et d’un savoir pour les arts.

Le Corbeau et le Renard deuxième fable du livre I de Jean de La Fontaine situé dans le premier recueil des Fables, édité pour la première fois en 1668.

Molière, Jean-Baptiste Poquelin dit (1622-1673) Le Festin de Pierre, comédie Amsterdam, 1683 V-B-074


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